Pêche à la mouche au Japon

Pour le pêcheur à la mouche, il est des destinations dont la promesse de la damnation même ne suffirait à l’éloigner: Alaska, Nouvelle-Zélande, Irlande, Ecosse, Colombie-Britannique en font définitivement partie. Chez le moucheur français, l’évocation de noms de rivières franc-comtoises telles que La Loue, le Doubs ou le Dessoubre provoque immédiatement d’importantes sécrétions salivaires.
Pourtant né à Besançon, et ayant travaillé, étudié ou séjourné dans tous ces pays, l’idée même qu’un jour, je puisse tenir une canne à mouche dans mes mains mutines ne m’avait pas effleuré une seule seconde avant mon arrivée au Japon, il y a 8 ans…

peche a la mouche

Et pour tout dire, je trouvais que les doux dingues s’adonnant à ce sport tenaient parfois plus de la psychiatrie que de l’écologie, à l’image de ce physicien suédois rencontré dans un bus Greyhound qui reliait le sud-est de l’Alaska au nord-Ouest de la Colombie-Britannique. Il me conta son séjour halieutique solitaire d’un mois dans une forêt infestée de Grizzlys, se nourrissant exclusivement du produit de sa pêche. Inutile de vous dire que je l’écoutais d’un air goguenard en me demandant si par hasard, cette tare génétique caractéristique n’était pas due à un abus depuis des siècles d’aquavit frelatée. J’étais persuadé qu’un jour ou l’autre un gros nounours l’enverrait au Vahlalah rejoindre ses ancêtres vikings pour d’éternelles libations!

Mais ne voila-t’il pas que, fraîchement débarqué sur l’archipel nippon, un de mes amis japonais me convia à une partie de pêche sur un lac de montagne appelé Marunuma. J’accepte, plus attiré par l’idée d’une bonne grillade à midi que par celle de taquiner la truite.

Mon ami, le matin, m’avait prêté une canne à pêche au lancer, mais, je m’en lassai vite, trop rébarbatif comme technique. L’après midi, un peu par plaisanterie, il me confia une canne à mouche, pensant que j’abandonnerais encore plus vite que le lancer. (Pour un débutant, les premières heures sont assez dépitantes, et certainement encore plus pour le pêcheur qui l’accompagne et qui passe son temps à dénouer les bas de lignes) Mais là, quelque chose se passa, comme un picotement-là, non, non, pas là, un peu plus bas, oui là, c’est ça!!! Le coup de foudre quoi.

Depuis ce jour, cet engouement s’est transformé en passion, et aujourd’hui je n’ai plus rien à envier au physicien suédois rencontré en Alaska. Moi aussi je pars camper dans les forêts japonaises au milieu des ours (beaucoup moins nombreux qu’en Alaska et plus petits, je vous l’accorde!) pour aller prospecter les rivières de montagne.

On me demande souvent de m’expliquer sur cette passion de la pêche à la mouche, mais il m’est très difficile de trouver les mots, de matérialiser les idées. Cela reste toujours très peu convaincant.

Dans nos sociétés modernes, l’expression de nos pulsions prédatrices ne s’exprime plus ou alors de manière détournée comme chez ces hommes que l’on voit arpenter les rues de Kaboukicho le soir… mais là, c’est une autre histoire.

Mais je pense qu’avant tout l’art de la fouette est une tentative de réconciliation avec notre animalité, nos instincts de prédateurs. En effet, la pêche à la mouche dans son essence même ressemble plus à la chasse car on traque littéralement le poisson à vue. Une des techniques pratiquée, consiste donc à repérer les poissons qui se nourrissent en surface en gobant, parfois doucement, parfois violemment, des insectes. Le but est donc de leur présenter une imitation de mouche que l’on aura préalablement fabriquée soi-même et qui, si la présentation et l’apparence conviennent, sera happée par la bête sous les yeux émus du pêcheur.

C’est un apprentissage constant qui ne s’arrête qu’avec le décès du pratiquant et qui exige une synergie avec les forces de la nature (vent et eau), une excellente connaissance des habitudes des diverses espèces de poissons recherchés, une étude entomologique approfondie couvrant les espèces du bord des rivières (si vous ne savez pas comment se comporte ce que les poissons mangent, vous n’avez aucune chance d’en attraper).

Mais la pêche à la mouche ça a aussi à voir avec l’esthétique et la recherche du geste parfait lors du lancer, avec la contemplation de la nature dans son expression la plus pure. Parfois lorsque je suis au bord d’une rivière, et qu’une lumière singulière dans un endroit particulier me touche au point de me bouleverser, je pose ma canne, m’assieds et je reste comme ça, de longs moments, dans l’immanente beauté des choses.

Et croyez-moi, des lieux magnifiques, la montagne japonaise n’en manque pas ! Il est au Japon des rivières et des lacs de montagne d’une splendeur inégalée aux eaux jade et limpides se faufilant entre des rochers d’une beauté obscure, le tout baignant dans une lumière pâle.

Il y a également la possibilité d’observer une faune toujours présente: kamoshika, singes, blaireau japonais, rapaces et autres oiseaux, cerfs, vipères, et si vous avez de la chance (ou pas…..) l’ours brun du Japon.

En termes de peuplement aquatique, ce qui fait l’intérêt de ce pays, c’est un nombre important d’espèces de salmonidés telles que Yamame (littéralement truite de montagne), Iwana (proche de l’omble chevalier), Amago (c’est le Yamame de l’ouest, mais sa pigmentation est différente), Sakura masu (une espèce de truite qui migre en mer et revient frayer en rivière), Itô (un grand saumon propre au Japon).

Malheureusement, mis à part les saumons et les truites de mer, la taille des poissons est plutôt modeste. Cela n’est pas lié uniquement à des raisons physiologiques, mais également a une mauvaise gestion des rivières, et a une absence quasi totale de régulation sur les techniques utilisées (pêche a la ligne, appâts organiques, pêche au filet) ainsi que sur la taille et le nombre des prises. Il n’est pas rare de voir des papis qui pêchent avec des oeufs de saumon (strictement interdit en Europe et en Amérique du nord) prendre 50 truites dans la journée de toute tailles et les garder toutes!

Alors que chez nous, grâce a une politique de dépollution en vigueur depuis une vingtaine d’années, de retour des rivières dans leurs lits naturels, stabilisés grâce au génie végétal et de préservation concernant la taille et le nombre des prises autorisées, de création de parcours “No Kill” ou mouche uniquement, nous avons réussi à repeupler nos rivières.

Ici cette prise de conscience n’a pas encore eu lieu, et je ne donne pas cher de l’avenir des peuplements aquatiques d’ici 10 ans si rien n’est fait.

Voilà pour l’ombre au tableau, mais malgré cela, le Japon reste un endroit fantastique et méconnu des étrangers pour s’adonner au “Quiet Sport” C’est pourtant la solution idéale pour gérer le stress généré par la vie à Tokyo, et j’invite quiconque intéressé, à prendre contact avec moi pour des informations sur les régulations, les poissons, les techniques ou pour vous donner des tuyaux sur les lieux à prospecter. Enfin tout ce qui vous permettra d’atteindre la plus belle des destinations halieutiques : “la Zone”. Ce n’est pas vraiment un lieu géographique, la Zone, mais plutôt un espace-temps, cet espace-temps connu seulement de ceux qui pratiquent une activité sportive ou artistique qui demande de longues années d’études et un lourd bagage technique et qui a un moment ou a un autre, lorsque la magie s’opère, s’affranchissent de tout cela pendant quelques minutes. La difficulté a disparu, tout est facile, tout vous réussit; lors du lancer, plus besoin de se dire “bloque ton poignet, ferme ta boucle, transfère ton poids!”, non car la canne est devenue une extension de votre bras, le vent votre coeur et la rivière votre âme…

Enfin ! après ce si long exil hors des grandes plaines de l’enfance, vous êtes à nouveau un Peau-Rouge.

Publié par

Christian Bouthier

Christian Bouthier, un Français au Japon depuis 1982. フランス語講師 et professeur de japonais.

7 réflexions au sujet de « Pêche à la mouche au Japon »

  1. Bonjour Monsieur,

    Votre article me fait rever. Ici en Chine, je recherche toujours des rivieres a proximité de Shanghai, mais la plupart sont polluée et les salmonidés sont partis depuis longtemps se refugier au fin fond du tibet ou du XinJiang…

    Auriez vous qq photos des rivieres japonaises?

    Je vous en remercie et continue ma quete sans fin a la recherche d’une riviere propre en Chine.

    Cordialement,

    Pierre

  2. superbe introduction à la pêche à la mouche que n’aurait sans doute pas renier John D. Voelker, mais vous connaissez sans doute ses livres qui ne sont pas seulement des histoires de pêche à la mouche mais un véritable hymme à la nature et à la chasse à la truite avec, bien sûr, une lutte d’égal à égal entre l’homme et le poisson.
    Alors pourquoi ne pas écrire un livre décrivant vos aventures ? Par ces temps de crise économique, nous aurions bien besoin de quelques distractions littéraires où les armes à feu, la violence, etc… sont absentes.

  3. Bonjour,
    J envisage de faire un petit tour au japon. J aimerais avoir quelques tuyaux pour trouver des chitites truites dans ce magnifique pays. Si vous pouvez aussi me dire quels sont les lois en vigueur, les periodes de peche etc… Merci d avance!

  4. @ Alex
    Il faudrait que tu poses ta question dans le forum et que tu essaies de contacter l’auteur de l’article, Emmanuel.

  5. Bonjour,
    Tout d’abord Bonne Année 2017!!
    Je serai en principe quelques jours au Japon et à Kyoto début Avril.
    Ma passion est la pêche à la truite,et je pêche au lancé, au fouet n’importe la technique, être au bord d’une rivière sera déjà pas mal, si vous avez des informations, je suis preneur.

    Merci Beaucoup
    Fred de Tahiti

  6. Bonjour!

    Votre écriture donne envie! Je pars 2 semaines au Japon en Février. Je souhaitais avoir des infos concernant la pêche à la mouche… !! N’hésitez pas à me contacter, je vous en serai reconnaissant de me partager vos infos! Merci 🙂

  7. Bonjour
    Je suis un fane de pêche et je part 15 jours au japon avec ma mère, pourriez vous me renseigner : sur les lois, les techniques et les coins.
    Merci d’avance

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