La SEJT organisera sa prochaine réunion le vendredi 7 février, à 19h, dans la salle 601 de la Maison franco-japonaise. Laurent Nespoulous, responsable de la revue de la Maison franco-japonaise, Ebisu, et chercheur en archéologie viendra parler des kofun, les tumuli japonais L’entrée est libre, n’hésitez pas à venir nombreux.
Archéologie d’une archéologie : Des Kofun et de leur place dans l’élaboration de la tradition impériale au Japon de la deuxième moitié du XVIe à la première moitié du XXe siècle.
Le cadre d’apparition des études archéologiques n’est pas neutre puisqu’il coïncide avec l’affirmation du concept d’Etat-nation, trouvant sa réalisation dans la constitution d’une identité voulue spécifique. L’enjeu premier de l’archéologie, son objet d’étude, dans son contexte particulier d’apparition, « c’est le passé de la Nation » (Demoule et al. 2002). Le Japon ne fait pas exception sur ce dernier point. Ce phénomène de formation, étudié entre autres par le constructionnisme social, a consisté à poser, comme autant de jalons fédérateurs, des matériaux « traditionnels » culturels pouvant être nouvellement créés « comme les drapeaux et les hymnes nationaux » (Hobsbawm et Ranger, 1983), ou encore pouvant être le fruit d’un façonnage à partir de données plus ou moins réelles, comme la démonstration de la continuité historique d’une nation neuve par réapropriation d’un passé plus ou moins reculé. Que l’on décide de parler d’invention, d’imagination ou d’un processus plus diffus et continu dans le temps pour traiter de la constitution de ce matériau culturel « commun », une chose est certaine: c’est toujours autour de lui que les débats portant sur la légitimité et / ou l’identité finirent par se cristalliser, qu’il s’agisse d’institutions, comme l’Etat, ou de communautés, comme la Nation. Dès lors, si la recherche archéologique en soi ne se destinait pas absolument à une orientation « identitaire », elle demeurait le reflet d’une époque et de problématiques qui conduisirent précisément à sa constitution en tant qu' »archéologie nationale » en France, et à son équivalent dans de nombreux pays d’Europe et au Japon durant la seconde moitié du XIXe siécle, participant de ce fait au processus de formation d’une « identité culturelle nationale ». La recherche dans le sol des origines d’un peuple de ce qui le caractériserait depuis toujours, et par extension, de celle de la Nation ainsi que la légitimisation de cette dernière dans le présent, est un fait largement observé.
Qu’il s’agisse de Vercingétorix et des fouilles sur l’oppidum d’Alésia en 1860, ou de la « redécouverte » des tombes « impériales » au Japon pendant la seconde moitié de l’époque d’Edo et au moment de la transition vers l’ère Meiji, dans le premier cas, les Français finiront par s’identifier à leurs « ancêtres les Gaulois », et dans le deuxième cas, c’est la continuité et la longévité de la famille impériale qui est « restaurée », laquelle famille se retrouve affirmée, et légitimée dans ses prérogatives comme elle ne le fut probablement jamais. Par conséquent, se pencher sur la question de la généalogie des discours de l’archéologie s’avère indispensable pour en saisir les orientations. L’archéologie, ne saurait en effet se limiter à ses enjeux et perspectives actuels.
Le cadre qui nous occupe ici, est celui de la constitution de l’archéologie des kofun et de la période Kofun, littéralement, la période « tertres antiques ». Cette dernière, caractérisée par la présence de tertres funéraires aux dimensions souvent gigantesques, est généralement datée, de nos jours, d’entre la seconde moitié du IIIe siècle et le tout début du VIIe siËcle de notre ère. La période Kofun, essentiellement étudiée à partir des données collectées dans les tombes auxquelles elle doit son nom, est actuellement comprise comme l’intervalle de temps oû les sociétés de l’archipel ont atteint un très haut degré de stratification sociale, à tel point que certains vont même jusqu’à parler de l’apparition d’un proto-Etat ou d’un stade archaïque d’Etat.
Ce qui fera donc l’objet de cette présentation sera précisément la nature de ce discours sur les tombes depuis l’époque d’Edo jusqu’à la réalisation de leur archéologie à Meiji et durant la première moitié du XXe siècle. Par ce tour d’horizon, forcément incomplet car synthétique, nous souhaitons mettre en évidence les enjeux de cette archéologie dans son rôle de fondation et d’entretien de la « tradition impériale » dans le Japon des débuts de l’ère contemporaine. Nous nous livrerons en quelque sorte à une présentation de l’archéologie d’une archéologie.