Dans notre discussion en tant qu'égaux, nous sommes en plein dans l'approche de l'éthique de la discussion de l'École de Francfort. Je n'aurais jamais pensé écrire un Mémoire de Master avec une forte teneur de contenu qui provienne de discussions. C'est ce qui va se passer pourtant ! Moi je peux vous dire mon nom, que vous connaissez déjà, Naohisa Yokoyama, et celui de mon directeur de Mémoire M. Alain Renaut, de la Sorbonne, qui pour l'instant n'a pas discuté mes thèses. Il me donne le droit, sans censures, à une pleine liberté de pensée.
Ainsi, avec bonne volonté, je vous livre quelques unes de mes pensées. Si je procède avec tant de liberté, c'est par conviction que la discussion entre citoyens cosmopolitiques conduit à la paix. Notre discussion n'est pas soumise aux intérêts stratégiques, comme le pourrait être celle des dirigents politiques. Ce qui lui manque c'est la présence de japonais qui seraient en mesure de décider de la part de leurs traditions qui sont pertinentes à la discussion. Finalement, une démultiplication des points de vues permettrait de trouver les meilleurs arguments.
En relisant la discussion, il me semble qu'il faudrait vraiment distinguer (1) ce que nous pouvons penser entièrement
a priori, (2) ce que nous disent les textes de lois, qui comportent souvent des doctrines diverses tel que le droit naturel et sur lesquels il faudrait revenir parce que le droit naturel est développé en premier en Grèce antique (soit en dehors du Japon), enfin (3) les méthodes qui marchent, mais qui ne sont pas nécessairement fondées en théorie, ou du moins qui relèvent de théories que je ne connais pas, comme dans le cas de l'intégration au niveau de la ville, et qui pourraient présenter des difficultés prévisibles à long terme.
Shizuka-jp a écrit :
Je suis bien de ton avis.
Tout comme je suis de ton avis en ce qui concerne les efforts faits par les municipalités, surtout par celles accueillant de grosses communautés d'étrangers. Je ne crois pas avoir vu rien de similaire en France.
Depuis plus de 20 ans j'ai eu l'occasion de travailler pour la ville de Hamamatsu, et je ne peux qu'être admirative de voir tout ce que la ville fait pour faciliter la vie des étrangers ici.
Les publications mensuelles du journal d'infos municipales sont éditées en japonais, anglais, espagnol, portugais.
Les infos concernant la vie locale sont en ligne sur le site de la ville, en japonais, anglais, et portugais.
http://www.city.hamamatsu.shizuoka.jp/hamapo/index.htm
Les carnets de santé pour les futures mamans sont disponibles en version bilingue, japonais et au choix:anglais-coréen-chinois-thaïlandais-tagalog-portugais-indonésien-portugais-espagnol
Ce ne sont que des exemples, parmi de nombreux autres.
Dans les principaux hôpitaux de la ville se trouve une permanence mettant à disposition des interprètes bénévoles en plusieurs langues.
En relation avec la mairie il y a aussi l'association pour les échanges internationaux, qui existe depuis 25 ans, et où les étrangers peuvent trouver de nombreuses informations, demander conseil en cas de problèmes, etc...
http://www.hi-hice.jp/HICEeng/abouthice ... nsultation
Sans parler de toutes les assos bénévoles qui s'occupent du soutien scolaire des enfants étrangers qui débarquent dans les écoles sans parler un seul mot de japonais.
C'est vrai que Hamamatsu est un peu une ville pionnière dans ce domaine, mais encore une fois, je ne pense pas qu'on puisse trouver des services équivalents en France.
Le revers de la médaille est une certaine propension des étrangers pour se comporter en assistés. Ils réclament à la municipalité encore plus de cours gratuits, les circulaires (kairanban) traduites en encore plus de langues, etc...Bref, si possible, ils aimeraient bien pouvoir vivre au Japon sans avoir à apprendre la langue.
Shizuka, tu connais à merveille la ville de Hamamatsu et ce qu'elle fait en vue de l'intégration des étrangers. Et cette ville fait beaucoup, je la félicite. La France n'a-t-elle pas de leçon à donner au Japon, du moins à cette ville qui est le modèle même de la réussite de l'intégration ?
Le revers de médaille que tu décris, la demande croissante de circulaires traduites, est réel et est une entrave à l'intégration des étrangers. C'est une question complexe, pourtant il pourrait y avoir des éléments de réponse dans une discussion plus bas avec Pangolin, Fujijanet et Orlenduz. Par contre, moi je ne pense pas que l'apprentissage de la langue soit nécessaire
a priori. Elle est nécessaire par exemple dans le cadre d'un ordre juridique. Celui de la Ve République en France oblige l'apprentissage de la langue, puisque la langue est un des attributs de la République, à l'article 2. Le cas du Japon est particulier, mais je pense toujours que
a priori l'apprentissage de la langue n'est pas obligatoire, ni non plus au regard de l'ordre juridique, mais simplement au niveau de la vie de tous les jours, il est rendu nécessaire.
De plus, au Japon il y a plusieurs dialectes et ce n'est pas donné que quelqu'un des îles du sud comprendra quelqu'un de Tokyo ou de Kyoto. Ainsi, cette diversité des langues existe déjà au Japon, comme elle existait d'ailleurs en France.
Est-ce que tu penses qu'un étranger qui change de ville pourrait sentir qu'il change non seulement de ville, mais de pays ? Parce que c'est l'aporie prévisible de l'hypothèse de la décentralisation, si cette décentralisation porte non pas sur l'organisation, mais sur la validité territoriale des normes juridiques. Si des villes s'occupent mieux des étrangers que d'autres, les étrangers auront tendence à vouloir y vivre, voire à se communautariser.
yokoyama a écrit :bcg a écrit :
Je ne suis pas d'accord. Enfin, si je ne parle pas de l'État japonais dont je ne connais pas l'action dans ce domaine, je mentionnerai les innombrables associations de "relations internationales", essentiellement rattachées aux municipalités, qui cherchent à faciliter l'adaptation des étrangers au Japon par l'organisation de multiples activités et de cours de japonais souvent gratuits.
Ebichu a écrit :A mon avis, l'Etat japonais fait autant pour l'integration des etrangers que pour celle des japonais, c'est a dire quasi rien, tout est affaire de famille, voir caste...
Selon moi, les deux sont vrais : (1) que l'intégration s'effectue au niveau très empirique et très local (2) et que prime la famille dans bien des domaines qui ailleurs sont assumés par l'État. C'est de là que dérive seulement en partie la question à savoir si le Japon doit ou non devenir plus Républicain.
Ce que nous oublions dans ce débat, c'est le rôle de la famille. Celle-ci est restée assez traditionnelle au Japon, plus qu'en France, et de cette manière, je le suppose, elle protège les traditions et est un vecteur de leur transmission. La famille est une société à petite échelle, elle est un premier lieu de socialisation et d'intégration. Par contre, l'espace privé de la famille est mis à l'épreuve par l'espace privé de l'entreprise, qui en a repris le modèle, en grande partie, soit celui de la maison et son organisation. Ainsi, l'entreprise privée, la famille économique, se pose en vrai facteur de précarisation des familles naturelles dont l'ambition est aussi d'être un lieu de transmission des traditions et d'être un lieu des relations affectives.
L'absence des pères des foyers est inquiétante. Elle forme une société marquée par l'absence de figures masculines, de figures d'autorité, qui seront toujours à chercher, pour les enfants qui grandissent, à l'extérieur d'eux-mêmes. Elle laisse peut-être un gouffre où d'autres pourront s'imposer en tant que figures d'autorité, par exemple ces conseillers étrangers. Cela relève de la psychologie, certainement, je ne suis pas compétant pour en traiter. La discussion pourrait se faire à partir de la théorie du développement moral de Lawrence Kohlberg.
Pourtant, le dévouement exclusif à la famille économique, de la part des salariés, jusqu'au sacrifice ultime qui est celui de la vie même, puisque plusieurs salariés se suicident, trace deux problèmes. D'une part, elle précarise la famille naturelle, mais aussi elle empêche que les salariés voient cette autre vie, qui n'est pas l'action en conformité des normes de l'entreprise privée, mais les normes de la Cité, des lois qui régissent la vie du vivre ensemble, qui doivent d'ailleurs être discutés, en raison, il en sera question à la fin, des failles évidentes du modèle de socialisation japonais qui sont apparues durant le cours de la modernisation économique accélérée.
Au niveau de l'
organisation, l'intégration dépend de la ville dans laquelle vit l'étranger et l'accès qu'il a aux institutions qui facilitent son intégration. La relation de l'étranger aux institutions est directe, comme le demande le modèle républicain, avec cette différence qu'il est en relation avec les institutions d'une ville. Il reste donc à savoir quels liens verticaux il y a entre les villes et l'État. La ville intègre-t-elle les étrangers en vertu d'une loi nationale ou en vertu de ses propres lois, de lois qui sont différentes dans chaque ville ? Si les lois sont partout différentes, c'est l'État qui disparaît de vue et il ne s'agit pas d'intégration républicaine.
Le modèle républicain permet différents niveaux de décentralisation. La France est un État très centralisée au niveau
législatif et la validité des lois concerne l'ensemble du territoire. C'est seulement l'
organisation qui est décentralisée et je me fie à l'article 1 de la Constitution de 1958. Il me semble que les démarches de Pangolin en vue de son mariage le confirme : les lois partout sont pareilles, elles concernent l'ensemble du territoire, ce qui change c'est l'organisation, la répartition des entitées qui administrent cette loi, dans ce cas, il s'agit d'un village et d'un maire (peut-être fort sympathique...)
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :en France, il y a une méfiance par rapport aux idées communautariennes, jugées dangereuses, pour des raisons philosophiques assez complexes que je ne suis pas en mesure d'étayer, mais qui relèvent soit de leur incompatibilité au regard du modèle républicain, soit de leur incompatibilité à l'idée que nous nous faisons de ce qu'est un individu. Le communautarisme peut introduire l'idée que des groupes ont des droits, alors que les droits sont ceux des hommes et des citoyens.
C'est précisément cela, oui. La communauté fait obstacle à la libre adhésion de l'individu au contrat social offert par la République Française. A ce titre, on peut étudier la trajectoire politique d'un Kofi Yamgnane qui serait l'idéal-type d'une intégration républicaine réussie.
Je te remercie de me faire connaître Kofi Yamgnane. Il a écrit des livres que je vais consulter à la bibliothèque nationale.
En lisant les messages entre celui-ci et le dernier que j'avais écrit, je me rends compte que ce qui se passe en France, c'est une redéfinition du républicanisme, et de l'intégration républicaine. Je me demande si la France n'est pas en train de liquider l'universalisme de son modèle. Peut-être que je suis inconséquent, parce que je le pense en sortant de l'ordre juridique de la Ve République. Mon point d'appui est la Constitution de la République de 1793 dans laquelle il était écrit à l'article 4 :
Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'humanité - Est admis à l'exercice des Droits de citoyen français.
Ainsi, selon moi, la Ve République pourrait être en phase de liquidation de son universalisme, si elle est comparée à la Ie République. La Ve veut désormais (1) cibler des étrangers (Inde, Chine) qui peuvent intégrer l'éducation nationale, (2) choisir les étrangers selon leurs compétences dans tel ou tel champ des connaissances pour l'emploi, (3) établir une liste des emplois ouverts aux étrangers et (4) reconduire aux frontières un nombre annuel fixe d'étrangers. Le vrai universalisme ne peut établir aucun critère qui puisse permettre d'exclure. Si je ne me trompe pas, l'exclusion passe par une définition de l'humanité qui n'est pas vide. Elle peut mener, dans des cas aussi rares que radicaux, aux camps de concentration, à l'extermination, à la colonisation.
La Ve République, a encore, tel que l'indique le préambule de la Constitution, une vocation universelle, elle veut permettre aux territoires d'Outre-Mer d'adhérer aux institutions fondées sur les principes de liberté, d'égalité et de fraternité. Par contre, il est de mon avis que la relation des citoyens avec les étrangers demande des types de contrats, ce que je pense d'ailleurs que font différemment les ordres juridiques de la Ie et de la Ve République. Si la Ie était plus ouverte aux étrangers, elle n'était peut-être pas plus universelle, puisque
a priori, que les étrangers aient les mêmes droits que les Français, ne va pas de soi. Cela n'a de sens qu'à l'intérieur d'un ordre juridique particulier qui peut varier. Il est vrai qu'il y a des intérets stratégiques et je pense que ceux-ci pèsent sur les États, même ceux qui défendent les principes ci-haut et celui de la dignité humaine.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :D'ores et déjà, les étrangers au Japon sont impliqués dans les relations internationales. C'est pour cela que je peine à comprendre la raison pour laquelle certains pourraient penser qu'ils se trouvent au Japon pour des raisons économiques, sous le coup d'une maxime telle que "enrichissez-vous !" Leur présence est une question avant tout politique.
Qu'entends-tu par cette dernière phrase ?
Pour ma part, je fais une différence entre les étrangers au Japon, selon qu'ils viennent de Chine, de Corée (et qui ressemblent un peu aux étrangers vivant en France venus des anciennes colonies françaises), ou bien d'autres pays, notamment ceux n'ayant jamais fait partie de la "sphère de coprospérité".
Pour ces derniers et principalement les étrangers européens ou américains, j'aurais empiriquement divisé la population étrangère au Japon entre ceux qui y vont pour des raisons de travail sans trop connaitre le pays et l'apprécier, et ceux qui y vont par choix personnel, pour approcher une culture qui les attire. Mais je l'avoue, c'est un pur préjugé qui n'est étayé par aucune statistique. Juste une impression, donc.
La présence d'étrangers est politique en premier parce qu'elle demande d'être légiférée. Si au Japon les étrangers sont choisis, comme ça va être le cas en France, pour tel ou tel de leurs attributs, cela ouvre, par des lois et des programmes gouvernementaux, à ces étrangers, qui ont des avantages de naissance qui ne sont pas mérités (tel que la nationalité), des possibilités que d'autres n'aurait pas. Cela n'élève aucune indignation si le Japon le pratique, puisque je ne pense pas qu'il ait de vocation universelle, ce qu'a la France. La France a une vocation universelle et veut même promouvoir son modèle, qui est différent du modèle américain.
Au regard de ce modèle universel, qui est celui d'après Auschwitz, au moins en philosophie, il me semble un peu douteux d'établir un critère qui après permet de diviser ceux qui font partie de telle ou telle catégorie.
Je prends ton exemple, en divisant la population étrangère au Japon entre celle qui apprécie beaucoup et celle qui apprécie moins le pays. En premier il faut demander à l'État de s'enquérir de ce que pensent les étrangers, ensuite établir un moyen de mesurer ce qu'ils pensent, s'il existe une manière empirique de mesurer l'appréciation, je le doute d'ailleurs. Le plus difficile est d'effectuer des comparaisons intersubjectives entre les différentes appréciations. C'était une des apories de l'utilitarisme. Enfin il faut établir des droits pour ceux qui apprécient le Japon plus que d'autres. C'est une mauvaise méthode qui peut avoir des résultats très mauvais.
Poutant, si le Japon pratique une sélection sur l'humanité, il peut toujours le faire en feignant de respecter des idéaux universels. Il en sera question plus bas, lorsque je discuterai du régionalisme.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit : Les échanges culturels et les échanges entre les Japonais et les étrangers font partie de la politique du Ministère des Affaires étrangères. Cette politique dérive, selon moi, d'au moins trois prémisses : (1) que ces échanges permettent une pacification des relations,
De fait, mieux connaitre son prochain, c'est faire diminuer le risque d'avoir envie de lui sauter à la gorge un jour... L'inconnu engendre la peur, et la peur un réflexe d'agression préventive.
Tu as parfaitement raison. Et c'est pour cela aussi, tu l'as indiqué ailleurs, que la politique du Japon qui consiste à enseigner systématiquement l'anglais dans les lycées est inconséquente. La diversité des langues et cultures est quelque chose qui permet la paix parce qu'elle prévient qu'un jour un seul État ne domine à lui seul la terre entière. L'enseignement des langues étrangères, et des langues régionales, permet aussi que des individus, de différentes cultures, partagent des points de vues différents et travaillent ensemble :
Fujijanet a écrit :Le Japon paye rubis sur l'ongle 6000 étrangers venant de plus de 50 pays pour favoriser les jumelages qui hélas disparaissent pas a cause du Japon mais du peu d'efforts fait par les autres pays, pour enseigner l'anglais en priorité mais pas seulement, des coordinateurs chinois, péruviens, coréens pour communiquer plus facilement dans les villes a fortes immigration (mains d'œuvres).
Pourtant, pour éviter que les étrangers se communautarisent, et qu'ils n'accèdent pas pleinement aux droits, il faudrait soit que les Japonais apprennent les langues étrangères durant les années de leur formation obligatoire (dans l'esprit de la promotion de la paix et d'enrichissement de la culture locale), sinon du moins que les étrangers apprennent le japonais :
Orlenduz a écrit :Comme rien n'est simple; il y a parfois certaines ambiguités vis-à-vis des étrangers mais j'ai moi-même été surpris de trouver toutes les infos de la mairie en anglais, espagnol, portuguais (pour les brésiliens notament), chinois, coréen. Et comme le souligne Fujijanet, ça correspond aux communautés présentes.
Par ailleurs à chaque fois que je vais à la mairie j'ai toujours droit à un employé très patient, qui tente de s'adapter. ça a peut-être plus à voir avec la culture et l'éducation qu'avec la volonté d'intégrer les étrangers mais n'empêche qu ça facilite l'acclimatation.
Plusieurs l'ont noté sur ce forum, il est parfois plus facile d'effectuer des transactions avec l'administration japonaise, que l'administration française, en raison de l'éthique japonaise, tournée ver le consensus.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :(2) qu'ils enrichissent le patrimoine culturel japonais
De fait, l'ouverture de l'ère Meiji a complètement transformé le pays, sans complètement le déséquilibrer et anéantir son fond culturel.
Je serais un rien plus circonspect, et c'est un euphémisme, sur les conséquences de l'influence américaine après-guerre.
Le Japon n'est pas un État libre. Les japonais ne sont pas libres. Jamais la France n'accepterait que ses politiques soient élaborées par des gouvernements étrangers et des facultés d'universitaires étrangères (voir le cas de l'occupation de la France.) Le pire c'est que ces conseillers étrangers ont une trop grande place dans l'espace public au Japon. L'espace public n'est pas libre non plus. Les Japonais sont à ce point dominés par leurs maîtres, qu'ils ont fait de cette domination une nécessité. Nulle part n'y a-t-il le souvenir de ce que c'était que d'être libre, nulle transcendance ne permet d'indiquer ce qui doit être et qui pourtant n'est pas.
Je demande que cette hypothèse soit falsifiée.
Oui, la France a encore quelque chose à apprendre au Japon : ce qu'est la liberté. Je rêve d'un Japon capable de développer ses propres politiques et de prendre la pleine responsabilité de leur application au réel. Le Japon a peur de penser seul, il l'a fait une fois et il est tombé, il a cherché à dépasser quelque chose qu'il n'avait pas encore compris : la modernité.
Le moyen de débloquer la situation, le seul que je conaisse, et il y en a peut-être d'autres, c'est de favoriser le développement de la subjectivité (qui peut être plutôt une objectivité morale), afin que les citoyens dans leur délibération, décident de ceux qui sont appelés à gouverner l'État, de manière à ce que cette délibération ne soit pas volée par des conseillers étrangers de tous genre. Et il est possible de penser que même notre discussion est un type de vol sur le débat que les japonais devraient mener, et qu'ils mènenent peut-être déjà.
Fujijanet a écrit :J'ai d'ailleurs quitte la France car j'etouffais de tant de regles, de conflit sur ces regles et d'opposition. C'est peut etre ca la democratie apres tout, mais elle m'a sacrement fatiguee. J'aurais peut etre aime une democratie plus calme, avec des gens qui savent respecter l'autre et les choix des autres, pas la loi du plus fort.
La subjectivité à développer n'est pas nécessairement celle révolutionnaire qui ébranle si souvent la France. Inévitablement d'ailleurs, il est mieux de ne pas fonder un État sur une violence révolutionnaire, puisqu'il est difficile de se concilier à un début par la violence. Elle est de toute façon beaucoup trop contraire à l'idéal-type japonais.
Il est évident par contre que les japonais ne manquent pas absolument de subjectivité. Sinon un consensus ne serait jamais possible. Si tous pensent ce que l'autre pense, qui pense ? Personne. C'est une impossibilité mathématique, mais ça trace la vulnérabilité des japonais aux idées qui peuvent avoir des conséquences néfastes et qui envahissent de part et d'autre leur forme de vie dans laquelle la subjectivité n'est pas développée sur le mode de l'individu ou du sujet moral européen.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :(3) et qu'ils apportent une main d'oeuvre qualifiée.
C'est une des raison qui légitime l'immigration, et ce depuis des siècles voire des millénaires.
En Europe certes. Au Japon - à part quelques moines bouddhistes, ambassades chinoises et coréenne, marchands européens - je pense que c'est un phénomène assez récent, qui s'est surtout développé après l'ouverture du pays, si nous excluons ce qui est refoulé vers la préhistoire, avant l'avènement de l'écriture, de migrations venues d'Asie. Tu sais que l'immigration, du moins la population étrangère, ce qui inclu les Coréen qui entre-eux sont majoritaires, ne compte que 1,2 % de la population du Japon. Le phénomène est minime. Si le phénomène est appelé à se multiplier, ce n'est pas donné d'avance, ce qui serait le mieux c'est que le taux de croissance de la population étrangère soit très lent, assez lent pour pouvoir y penser.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :La présence des étrangers devient d'ailleurs doublement politique. Le choix des étrangers qui peuvent venir au Japon est guidé par des accords conclus entre dirigeants, je cite celui qui s'est effectué entre l'Inde et le Japon l'an dernier.
Peux-tu résumer brièvement la teneur de cet accord ?
L'accord en question avait été signé le 22 août à New Delhi par Shinzo Abe et Manmohan Singh et visait en outre à encourager l'apprentissage de la langue japonaise en Inde et à favoriser la venue d'Indiens au Japon, surtout des informaticiens. Or, puisque le Premier Minister a démissionné, et que Yasuo Fukuda l'a remplacé, il faudra voir si cette politique sera véritablement mise en oeuvre. Même s'ils sont du même parti politique, il y a au sein du LDP (qui n'est peut-être pas vraiment libéral, mais déjà plus démocratique) des factions.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :Je constate qu'il y a des Français qui vivent à l'étranger et qui ne s'intègrent pas politiquement à la nouvelle société dans laquelle ils vivent. Après, la question de l'intégration culturelle est différente. Si eux ne s'intègrent pas, pourquoi en demander autant à ceux qui viennent en France ? Évidemment, je revendique toujours l'intégration républicaine, mais c'est une question qui s'impose.
Eh bien si l'on peut dire, ce problème est le "revers de la médaille". La France a accueilli des gens du monde entier, mais par contre, il y a très peu de Français qui se sont expatriés comparativement à d'autre pays européens. On peut penser que c'est parce globalement ils s'y trouvent bien, et que rien ne les pousse à aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs.
Le plus gros exode de Français reste le départ de nombreux "Huguenots" persécutés pour leur foi protestante, lors des guerres de religions.
Donc les Français savent certainement moins bien que d'autres s'intégrer à l'étranger, puisqu'il n'y a pas de culture de l'expatriation comme il peut en exister dans d'autres pays, et qu'il n'y a pas non plus de grosse communauté pouvant accueillir les nouveaux arrivants et les introduire aux us et coutumes des pays d'accueil.
Ceci va certainement changer puisqu'on peut noter dans les dernières décennies une plus grande propension des Français à s'installer à l'étranger.
A ce titre, les expatriés actuels au Japon ont une grosse responsabilité sur leurs épaules : ils constituent une avant-garde propre à faciliter l'insertion de leurs successeurs. Le fait que certains fréquentent ce forum semble laisser supposer qu'ils en ont vaguement conscience et s'organisent en conséquence...

Qui étaient ces
Huguenots ?
Les Français se sont bien établis en Amérique du Nord. Ils ont participé à la colonisation et se sont battus pour l'Indépendance américaine. Ce qui doit travailler tout chef d'État qui voit arriver des européens c'est la question suivante : "Vont-ils s'installer en définitive, combien seront-ils ?" Le fait que certains sur ce forum considèrent que leur présence et leur actions au Japon est celle de pionniers ne pourrait que les inquiéter, et moi aussi, qui pourtant est très attaché aux valeurs universelles, très défenseurs d'une certaine philosophie européenne, post-kantienne. Même dans le cadre d'un universalisme strict, il n'y a pas, selon moi, de devoir d'accueillir des étrangers. Ce n'est pas un devoir
a priori, maintenant les conventions internationales infléchissent quelque peu la situation, ainsi que les lois positives qui font partie de l'ordre juridique (abstraction faite du droit naturel...) et finalement aussi d'autres intérêts, comme ceux économiques et culturels.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :Il est pourtant possible, je ne prétends pas avoir raison, que (1) les japonais ne veulent pas que les étrangers s'installent en définitive
Bonne question. Le fond culturel japonais favorisant l'homogénéité et le consensus ("le clou qui dépasse appelle le marteau") pousse naturellement à limiter les différences.
Il doit y avoir une raison pour laquelle plusieurs Coréens cachent le fait de ne pas être japonais, en reprenant à tort ou à raison la définition ethnique de ce qui fait un japonais. Poutant, prétendre que le Japon est (1) homogène au niveau ethnique est très contestable, (2) homogène au niveau culturel est faux puisque la Constitution est impensable à partir de la culture soit shintoiste que bouddhiste que confucéenne, (3) homogène au niveau de l'éthique qui régie les relations intersubjectives, les relations entre familles, et les relations entre entreprises privées, ça oui, je le pense. Du moins, il faudrait vraiment aller voir dans le concret comment s'établit ce consensus. Je pense que la procédure du
rinko-sho est peut-être un point de départ pour ceux qui ont de l'expérience dans le monde des affaires.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :(2) que le Japon n'a pas une vocation universelle à accueillir les étrangers comme la France qui a d'une part le véritable modèle universel et a d'autre part une longue histoire coloniale. Les seuls qui pourraient prétendre à un quelque droit au Japon en raison d'une histoire coloniale partagée sont les Coréens et les Chinois.
D'autant que cette histoire commune se double d'une grande proximité culturelle.
Un repli communautarien au niveau régional comme en Europe, n'est pas exclu. Ce qui est fascinant, si c'est le cas, c'est que le repli communautarien est décrié au niveau de l'État, mais pratiqué au niveau de l'Union européenne. La situation géo-politique du Japon et des États à proximité est très différente de l'Europe. Il n'y a pas d'États aussi potentiellement puissants que la Chine et l'Inde en Europe. Pourtant, tu évoquais plus haut une distinction qui peut avoir lieu tout en restant attaché à une certaine idée de l'universalisme. Le repli communautarien, des États à proximité du Japon, permet d'exclure par la loi. La liste de ceux qui font partie et de ceux qui ne font pas partie de l'
Asie est à discuter, ainsi que le nom même de l'
Asie qui est un nom européen. Selon moi, l'Australie ne fait pas partie de la nouvelle région, ni non plus la Russie, ni non plus l'Amérique du Nord ou l'Amérique du Sud (comme dans le cas de l'APEC). Je travaille là dessus lentement, il me semble qu'en font partie : les États de l'ASEAN+3 (avec la Chine et la Corée du Sud), les États de SAARC, peut-être à l'exclusion de l'Afghanistan qui vient de les rejoindre. Afin d'établir une vraie liste, il faut bien connaître chaque État en question et je ne peux pas prétendre à un tel savoir. L'enjeu est de taille puisque la Chine tente de définir son propre régionalisme avec l'organisation de coopération de Shanghai.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :De plus (3) le Japon n'a pas, à ce que je sache, une vocation à éduquer les élites internationales de demain.
Le Japon a par contre l'ambition d'exister sur la scène politique internationale, c'est cela qui pousse à revendiquer depuis des décennies un siège au conseil permanent de l'O.N.U. . Une manière d'y parvenir est de s'appuyer sur une élite internationale plus nippophile.
Tu as encore parfaitement raison. C'est une autre manière de conçevoir le rôle politique que jouent les étrangers au Japon. Leur présence est donc peut-être triplement politique, et après trois, nous pourrions arrêter de compter les fois que ça fait !
L'Allemagne a le même problème que le Japon. Ils n'ont pas de siège permanent et ils ont des bases militaires étrangères sur leur sol. Pourtant, dans le cas de l'Allemagne, cela pourrait s'expliquer, je le suppose sans le savoir, par le fait de l'existence de l'OTAN.
Pangolin a écrit :yokoyama a écrit :Bref, je me demande quelles sont les attentes des expatriés, quelle succession ils envisagent et s'il pensent que c'est souhaitable ou même possible de rester au Japon.
Bonne question : il faut espérer que ceux qui fréquentent ce forum vont y répondre...
Il me semble que toute discussion sérieuse, et de bonne volonté, avec des européens qui vont s'installer au Japon, doit considérer les conséquences très réelles de la colonisation de l'Amérique par leurs ancêtres, tout en sachant qu'aujourd'hui, l'Amérique domine le Japon.
Selon moi, le modèle républicain-français a des avantages sur la compétition. D'une part, il permet de penser une redistribution hors-marché des biens économiques. Le Japon a besoin d'aider les plus faibles, la jeunesse de la génération des dix années perdues, ceux qui vivent dans les cafés internet et qui ne trouvent que des travaux journaliers. Le Japon est le fer de lance de la mondialisation et ne saurait invoquer la mondialisation comme exutoir à ses problèmes sociaux. C'est une question très délicate, puisqu'elle suppose que, la société socialisée telle qu'elle est, sur le modèle shintoiste, bouddhiste, confucéen, donc de traditions qu'il faut pourtant conserver d'une manière ou d'une autre, n'a pas été à la hauteur de ce que demandait la modernisation économique accélérée.
Cela peut aussi nourrir des ressentiments, ressentiments des jeunes qui voient que des étrangers réussisent mieux qu'eux au Japon.
D'autre part, le modèle républicain-français accorde une grande place au débat, débat citoyen qui est repris partout, dans les journaux, dans les cafés etc. Oui, les français au Japon se trouvent dans une situation tout à fait particulière, eux qui sont porteurs de cet autre model politique.
La faiblesse du modèle en question est lié au fait que, historiquement, et peut être pas théoriquement, la France n'a pas su intégrer les immigrants des banlieues. Ce qu'elle devra faire en vertu de ses lois.
Post scriptum
Il faudrait établir à quoi remontent les relations franco-japonaises. Est-ce qu'il s'agit de l'ambassade envoyée en Europe par Date Masamune entre 1613-1620 ? Cette ambassade envoyée par bateau a visité l'Italie, la France, l'Espagne. Les relations entre la France et le Japon remontenteraient à plus de 150 ans. Nous les devons en partie à Date Masamune, qui à Sendai était le daimyo sous lequel vivaient les Yokoyama.