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https://www.franceinfo.fr/faits-divers/justice-proces/qu-est-ce-que-le-syndrome-de-munchhausen-par-procuration-au-c-ur-du-proces-de-maylis-daubon-jugee-pour-l-empoisonnement-de-ses-filles_7626335.html
Cette femme de 52 ans est jugée à partir de lundi devant les assises des Landes pour l’empoisonnement de ses deux enfants, dont l’aînée de 18 ans, morte en 2019. Selon une expertise psychiatrique, la mère de famille est atteinte de ce trouble de santé mentale.
Des inscriptions au feutre et à la peinture noire et rouge sur les murs, des phrases lugubres en français, anglais et espagnol, et le nombre 666. Telles sont les découvertes faites par les policiers lorsqu’ils sont entrés dans la chambre d’Enéa, qui vivait avec sa mère et sa sœur, à Dax (Landes). La jeune fille est morte à 18 ans, le 19 novembre 2019, après une hospitalisation consécutive à un malaise.
Lorsque sa mère, Maylis Daubon, est entendue par les policiers, elle décrit sa fille aînée comme dépressive, atteinte de plusieurs pathologies, mais elle est incapable d’en citer une seule. Enéa prenait de nombreux médicaments. Pourtant, parmi la vingtaine de molécules retrouvées dans son corps, certains ne lui étaient pas prescrits. Une dose létale de bêtabloquant, aggravée par un cocktail de neuroleptiques, antidépresseurs et anxiolytiques, a conduit à sa mort.
Enéa a-t-elle consommé seule plusieurs dizaines de cachets pour se suicider ou est-ce que quelqu’un les lui a administrés ? Maylis Daubon a toujours soutenu la première hypothèse, mettant en avant un mal-être chez sa fille. D’autres témoins évoquent, au contraire, chez Enéa une volonté de s’émanciper et de projeter des voyages à sa majorité. Alors les soupçons se recentrent peu à peu sur la mère de la jeune fille.
« Des troubles factices imposés à autrui »
Maylis Daubon est mise en examen et placée en détention provisoire un peu plus de deux ans après la mort de sa fille(Nouvelle fenêtre). Elle est jugée à partir du lundi 24 novembre, et jusqu’au 3 décembre, devant la cour d’assises des Landes(Nouvelle fenêtre), à Mont-de-Marsan, pour l’empoisonnement d’Enéa. Elle doit aussi répondre de celui de sa sœur cadette, Luan, qui avait 16 ans au moment des faits et désormais jeune adulte, car des analyses toxicologiques ont révélé des traces de médicaments similaires. En outre, elle est accusée d’avoir commandité une opération depuis la prison où elle est incarcérée pour tenter d’assassiner son ex-mari, le père de ses deux filles.
Pourquoi Maylis Daubon aurait-elle empoisonné ses filles ? La question est au cœur de son procès. Deux psychiatres qui l’ont expertisée pendant sa détention formulent l’hypothèse que cette femme, âgée aujourd’hui de 52 ans, est atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration. Ce trouble de santé mentale doit son nom au baron de Münchhausen(Nouvelle fenêtre), aristocrate allemand dont les extravagantes aventures ont été rendues célèbres par un livre paru à la fin du XVIIIe siècle. Mais il faut attendre le début des années 1950 pour qu’un médecin britannique décrive le premier ce comportement et le baptise syndrome de Münchhausen. A la fin des années 1970, un pédiatre anglais définit sa variante par procuration.
« Une personne atteinte du syndrome de Münchhausen va s’infliger des lésions, ou falsifier des documents médicaux, ou bien rapporter des symptômes physiques à un médecin, qui ne sont pas réellement existants, dans le but d’avoir des soins, expose Estelle Taupinard, psychiatre à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Quand ce syndrome est par procuration, c’est une personne qui inflige, falsifie ou rapporte des symptômes concernant une autre personne, en général un bébé ou un enfant, qui amènent à une consultation chez un médecin. » Le syndrome de Münchhausen par procuration est aujourd’hui défini dans le milieu médical comme « des troubles factices imposés à autrui », résume Estelle Taupinard, autrice d’une thèse sur le sujet, publiée sous forme d’article en 2023(Nouvelle fenêtre).
« La plupart du temps, les familles touchées passent sous les radars »
« Ce phénomène est probablement sous-diagnostiqué puisque la littérature internationale ne recense que 300 cas répertoriés depuis 1977 », souligne le psychologue Nicolas Estano, expert près la cour d’appel de Paris. « La plupart du temps, les familles touchées passent sous les radars. On finit par se rendre compte qu’il y avait un syndrome de Münchhausen par procuration quand il y a des répercussions physiques gravissimes », complète de son côté Estelle Taupinard, soulignant qu’« on est dans le spectre large de la maltraitance ». « Et quand la supercherie est dévoilée, la personne atteinte par le syndrome coupe le suivi médical pour recommencer son histoire ailleurs, si bien qu’on a du mal à retracer l’histoire », ajoute la psychiatre.
Les mères sont-elles les seules à être touchées par ce syndrome ? Pour Estelle Taupinard, si on n’a quasiment pas détecté ce trouble chez les pères, c’est parce qu’il existe « un biais sociétal », à savoir « les mères qui s’occupent davantage des enfants ». « Au début, on a détecté l’archétype de la mère, qui travaille dans le milieu médical, qui connaît bien les symptômes et les pathologies et qui amène son enfant en consultation devant d’autres médecins », expose la psychiatre.
Plusieurs mois avant la mort d’Enéa, lorsqu’un juge des enfants ordonne une procédure d’assistance éducative, Maylis Daubon assure à une psychologue, appelée en renfort, que sa fille est suivie au centre anti-douleur de Dax, alors qu’en réalité, la jeune fille ne s’y est rendue qu’une seule fois. Cette incohérence entre le discours de la mère et les « maladies » d’Enéa, confortée par d’autres éléments, permet à cette psychologue de penser que Maylis Daubon est atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration. C’est la première à émettre ce diagnostic, qu’elle partage avec ses collègues.
Une mère et ses enfants, sans père « dans l’équation »
Néanmoins, difficile d’identifier avec précision les fondements psychopathologiques du syndrome de Münchhausen par procuration, c’est-à-dire les raisons qui expliquent son apparition. « A l’heure actuelle, on a assez peu étudié les auteurs des troubles », pointe Estelle Taupinard. Cependant, elle constate que, souvent, ce sont des personnes qui ont été victimes de ce syndrome qui le reproduisent à leur tour. Dans le cas de Maylis Daubon, l’enquête de personnalité parle de « bonnes relations avec ses parents », d’une enfance et d’une adolescence « dans un cadre familial normé ».
Mais la psychologue qui a expertisé l’accusée observe une femme avec « une grande instabilité émotionnelle », « une impulsivité intérieure », à la fois contrainte « par ses exigences conscientes de réussite et d’image narcissique, en constant besoin de valorisation et d’étayage ». Interrogée sur ce point, Estelle Taupinard confirme qu’une faille narcissique peut participer au développement de ce trouble de la santé mentale. « Mais ce n’est ni nécessaire ni suffisant pour l’expliquer »,souligne-t-elle.
Dans la plupart des cas qu’elle a analysés, une mère atteinte du syndrome impose des troubles à son enfant, sans père « dans l’équation ». C’est le cas pour Maylis Daubon, qui vit seule avec ses deux filles depuis son divorce, prononcé après neuf ans de vie commune. Elle « exerce une emprise totale, éducative, émotionnelle et affective sur ses filles depuis la séparation parentale, afin d’exclure définitivement leur père de leur vie », selon l’ordonnance de mise en accusation consultée par franceinfo.
« La mort d’autrui n’est pas recherchée en tant que telle »
Dans sa décision de renvoyer Maylis Daubon devant la cour d’assises, la juge insiste sur cette emprise, qui a eu une issue tragique pour sa fille aînée. Néanmoins, six ans après le décès d’Enéa, et avant l’ouverture de son procès, l’accusée nie toujours avoir eu l’intention de lui ôter la vie et d’empoisonner sa sœur cadette. « Dans le syndrome de Münchhausen par procuration, la mort d’autrui n’est pas recherchée en tant que telle. C’est un effet, une complication du syndrome », analyse Estelle Taupinard.
Elle relève tout de même qu’il y a « un vrai retentissement psychologique chez l’enfant qui subit le syndrome, avec des dépressions et des conduites suicidaires qui sont assez souvent retrouvées ». A terme, « l’enfant est valorisé dans une conduite néfaste, mais c’est ce qui lui permet d’attirer l’attention », selon la psychiatre. C’est l’une des « répercussions » de ce syndrome dévastateur.

